Raconte-moi la radio

Témoignages

Tension anodine !

C'était dans les années 1930/31 et j'avais alors une dizaine d'années.

Mon oncle, le frère de mon Père, habitait à coté de chez nous et il était équipé d'un poste de TSF (la Téléphonie Sans Fil ).

Je revois encore ce fameux poste avec les lampes apparentes et un haut parleur en forme de cornet.
Les conversations entre mon père et mon oncle portaient souvent, à cette époque, sur des points de vue relatifs à la réception.

Afin de faire profiter toute la famille de cette merveilleuse découverte, ils avaient relié par un fil qui courait le long du mur, la sortie du poste à un haut parleur que mon Père s'était procuré.

Malheureusement nous ne profitions pas beaucoup des programmes de Radio Lille car mon oncle qui était chauffeur sur des locomotives à vapeur, faisait les trois huits : une semaine 5h/13h puis 21h/5h et 13h/21h.

Mon Père décida donc, un jour, de s'équiper lui aussi d'un poste de TSF.

Il alla voir le gars qui avait construit celui de mon oncle deux ans plus tôt. Ce monsieur était lui aussi cheminot.

Il n'était pas chauffeur comme mon oncle, mais mécanicien sur les longs parcours. C'était, en dehors de son métier, un passionné de T.S.F.

Ce Jean Canote de son vrai nom, avait même construit un émetteur et comme il jouait de l'accordéon et que son épouse avait une bien jolie voix, ils poussaient la chansonnette de temps en temps sur les ondes.

Le poste construit et livré, il fallu dresser l'antenne. Un mat de huit mètres de haut fut installé au fond du jardin à environ 20 mètres de la maison, avec, en haut de ce mat, une poulie afin qu'il soit possible de descendre l'antenne en cas de besoin. De là partait un fil de cuivre isolé à chaque extrémité par des isolateurs en porcelaine et amarré, à l'autre extrémité, à la cheminée de la maison.

Mais en ce temps là, nous n'avions pas l'électricité. On s'éclairait encore avec des lampes à pétrole et pour faire fonctionner le poste il fallait disposer de 2 batteries d'accumulateurs, 2 accus comme on disait alors. Il y avait un accu de 120 Volt et un autre de 4 Volt. Je n'ai jamais su le pourquoi de ces chiffres.

Toujours est-il que tous les quinze jours environ, il fallait emmener les accus à recharger. Il y avait, à 2 km de chez nous, un café où le courant était installé et où le patron avait lui aussi un récepteur de T.S.F.

Mais ces batteries étaient des colis très lourds et dangereux à manipuler à cause de l'acide qu'elles contenaient.

Il n'était pas question de transporter ces accus à vélo et encore moins en voiture puisque personne n'en possédait à l'époque. Alors pas d'autre solution que de parcourir les 2 km à pieds .... pour aller ..... et autant pour le retour.

Pour le transport, mon Père avait un appareil qui épousait les épaules avec des cordes munies de crochets.

Je ne sais pas si mon Père devait payer pour la charge, mais comme c'était un café, il payait une tournée générale et comme la charge durait un certain temps, il devait remettre ça et revenait quelque fois un peu pompette avec les 2 batteries pendues à ses épaules !

Le plus pénible c'était en hiver car dans le Nord, en ce temps là, nous avions de la neige à partir de Noël.

Bien que nous ayons déjà eu quelques occasions d'écouter la radio grâce à la liaison installée par mon oncle, quelle fut notre joie lorsque après quelques couic couic nous avons entendu dans notre propre poste, "Ici Radio Lille" dont l'émetteur se situait à une dizaine de km à l'Est de Wattrelos. Il nous arrivait aussi d'entendre Courtrai dont l'émetteur était en Belgique plus au Nord et plus rarement Paris et Toulouse .... beaucoup plus au Sud !

Dans ces moments là, il n'était pas question, pour les enfants en particulier, de faire du bruit. Mon Père était rivé à son poste avec le casque sur les oreilles.

Un phénomène troublant se produisait régulièrement dans notre poste :
A environ 1500 m de chez nous, il y avait une ligne de tramways qui reliait la place de Wattrelos à la gare de Tourcoing. A chaque passages d'une rame, nous entendions des craquements dans le poste. Comme cette ligne était désignée par la lettre B, on disait "tient voilà le B qui passe". Qui parlait à cette époque de perturbations radioélectriques ou de parasites ?

Quelques temps après, nous avons enfin été raccordé au réseau électrique : 110 volts et interdiction de dépasser 5 ampères. Imaginez, à peine la puissance d'un fer à repasser !

Il faut dire que l'installation avait été faite depuis que l'on nous avait promis l'arrivée du courant, mais elle était restée inopérante bien longtemps dans l'attente du raccordement de notre maison au réseau local.

La Fée Electricité permit à mon Père d'acheter un appareil fonctionnant sur le secteur. Une alimentation remplaçait l'accu de 120 Volt et permettait de recharger l'accu de 4 Volt. Je ne sais plus exactement mais je crois qu'il était question de "tension anodine".

Nous avons gardé ce récepteur jusque vers 1936 et l'avons remplacé par ce que l'on appelait alors un poste secteur.


Fini les accus !

ooOoo

Un grand Merci à Jules Cousaert qui a accepté de coucher quelques beaux souvenirs d'enfance sur le papier et qui m'a autorisé à les publier ici.


© 2000-2008 Pierre Dessapt