Je revois mon père écoutant la TSF avant 1939.
L'acquisition d'un poste de TSF, pour une famille modeste au début des années
30, était un événement.
Elle représentait un investissement financier lourd qui faisait suite à de nombreux mois d'économies et de sacrifices (un franc de 1935 équivalant à environ 0,50 €, le poste ci-contre devait coûter presque 500 €).
Mon père avait commandé son poste à lampes à La MANU (MANUFRANCE - SAINT-ETIENNE).
C'était un gros poste de TSF, plus haut que large avec une belle ébénisterie en bois comme il s'en faisait à l'époque.
Papa avait érigé un pylône en bois à l'autre bout du jardin. Un fil de cuivre partait du poste de TSF.
Il montait le long du mur de la maison et était tendu
entre le grenier et le pylône, c'était l'antenne. Indispensable !
Je me souviens aussi de la prise de terre qui n'avait pas été oubliée ; elle était reliée à un piquet métallique profondément enfoncé dans le sol du jardin.
La qualité du son d'un poste de TSF n'avait rien de comparable avec celle des récepteurs radio d'aujourd’hui. Nous entendions parfois des craquements sinistres dans le haut-parleur. A la suite de ces bruits anormaux, il y avait parfois un ronflement et le poste ne captait plus rien.
A ce moment là, papa lui assumait un fort coup de poing sur la tête, on entendait à nouveau un craquement épouvantable qui vous faisait sursauter et, miracle, le poste fonctionnait à nouveau. La méthode était sans doute peu technique, mais très efficace !
En ce temps là, la radio diffusait principalement des pièces de théâtre.
Nous étions cinq enfants et, comme il y avait toujours plus ou moins de bruit à la maison, papa écoutait le poste l'oreille collée au haut-parleur.
Sa position favorite était la jambe repliée avec un pied sur une chaise, l'autre jambe au sol. Il faut croire que cette position lui convenait, puisqu'il restait ainsi des heures durant à suivre son programme théâtral.
Pour écouter les informations - là c'était important - nous avions droit à un avertissement, à voix très haute, de faire silence !
Il y avait Radio Paris, Radio Toulouse Saint Agnan (ou Sintagnan, je ne sais plus ?), Sottens, Stuttgart etc..
Durant cette période d'avant la guerre, le poste était tombé en panne après avoir fait des étincelles et il en était sorti une fumée nauséabonde. La panne était due à une souris qui était entré dans l'appareil et s’était faite électrocuter. Son cadavre était restée coincée derrière le verre du cadran indicateur des stations !
Puis vinrent les années troubles de la guerre.
Subitement, toutes les stations de radiodiffusion en langue française furent mises au silence.
Le MANUFRANCE nous suivit jusqu'au village Les Essarts, en Vendée, lors de l'évacuation des Ardennes en mai 1940.
Le moral était au plus bas, aussi bien pour les réfugiés que nous étions, que pour les gens de Vendée qui nous avaient accueillis. ..... Une bonne moitié de la France était envahie.
J’avais 10 ans en juin 1940. Je me souviens de l'arrivée des allemands en début d'après-midi, en voitures blindées et side-car. J'étais caché derrière un buisson ... mon cœur battait très fort !
Un jour de juin 1940, alors que nous n'entendions plus ni Radio Paris (Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand !! ) ni aucune émission en français, qu'un soir, surprise ! nous avons entendu à la TSF une voix en français : « Bonsoir la France ».
C'était Radio Andorre (Ici Radio Andorre, Aqui Radio Andorra ! la station fondée en 1939 par Jacques Trémoulet propriétaire de Radio Toulouse, du Poste de l'Ile-de-France, de Radio Bordeaux Sud-Ouest, de Radio Montpellier, de Radio Agen (et aussi de nombreux autres postes en outre-mer et à l'étranger) qui avait repris ses émissions en avril 1940 depuis le territoire neutre de la Principauté d'Andorre.
De retour dans l'Aube en août 1940 et dans les Ardennes seulement en août 1942, je me souviens que mon père écoutait la TSF l'oreille collée plus que jamais au haut-parleur.
C'était pour écouter Londres, la BBC en français, volume baissé car s'était interdit, voire dangereux ; on pouvait se faire embarquer par une patrouille allemande. De plus, il y avait le brouillage des allemands qui était une gêne pour l'écoute de Londres. Par moment, ce brouillage passait complètement au dessus des paroles. « Voici un message personnel : « un ami viendra ce soir, je répète, un ami viendra ce soir ». « Mon cousin fume la pipe, je répète, mon cousin fume la pipe ».
Que de souvenirs d'enfant !
Beaux souvenirs personnels que m'a autorisé à publier Michel BAUDOIN, OM averti - F5LBD.