Nous sommes en 1899 et suite à plusieurs incidents (La crise de Fachoda), la France et l'Angleterre se décident à fixer de façon plus précise leurs limites territoriales en Centre Afrique.
Les limites convenues s'appuieront sur la ligne de partage des eaux entre le Nil et le Congo.
Mais les frontières de cette époque qui s'étendaient sur de vastes espaces encore peu explorés resteront assez floues et incertaines.
Vers 1919, les 2 pays signent une Convention (Convention du 8 septembre 1919) qui prend acte du lancement de deux missions qui, de façon indépendante, vont parcourir les contrées comprises entre le Congo Belge et le désert de Lybie, pour fixer de façon plus précise et avec des matériels scientifiques plus performants, une frontière dont le tracé sera reconnu par les deux pays. Les géographes pourront en dessiner les contours sur des cartes modernes mises à jour.
Côté français, le Lieutenant-colonel Jacques Hippolyte Grossard de l'Infanterie Coloniale est désigné pour organiser une mission qui partira en septembre 1921 de Abéché, capitale de l'Ouadaï (actuellement au Tchad).
La mission durera 2 ans et se terminera au mois d'août 1923.
En dehors de l'aspect initial qui visait à fixer une frontière entre 2 territoires peu explorés à l'époque, cette mission à laquelle participèrent de nombreux chercheurs (géologues, ethnologues, botanistes, entropologues, etc ...) ramènera un volume colossal d'informations qui seront consignées dans des rapports de grande valeur scientifique.
Le compte rendu de mission du Colonel Grossard, s'ouvre sur le journal de marche de la Mission et peut se lire aujourd'hui comme un roman de voyage.
La deuxième partie de l'ouvrage traite des travaux techniques et des difficultés rencontrées pour effectuer des relevés géodésiques précis dans des zones d'accès difficile ou au relief complexe.
La présence de chaînes de montagnes n'a pas permis par exemple d'établir une triangulation géodésique continue et a nécessité de mettre en place des mesures de latitudes et longitudes à l'aide de relevés astronomiques.
Ces mesures ont été faites à l'aide de l'astrolabe à prisme inventé par les Français Auguste Claude (1858-1938) et Ludovic Driancourt du Bureau des Longitudes à Paris, en 1905.
C’est un appareil d’astrométrie qui permet de calculer de façon très précise l’heure sidérale, la latitude et la longitude d’un lieu.
Pour déterminer la latitude d'un lieu (Abéché par exemple), il suffisait de mesurer avec cet appareil - ou un sextant de marine moins précis - soit la hauteur de l'étoile polaire au dessus de l'horizon (mesure de nuit), soit la hauteur du soleil (mesure de jour).
La détermination de la longitude était (et reste) un peu plus complexe. Il fallait déterminer l'heure sidérale du lieu et la comparer à l'heure de référence du méridien de Greenwich (ou du méridien de Paris). Pour avoir l'écart de longitude entre Paris et Abéché par exemple, il fallait d'abord déterminer l'heure sidérale de Abéché, mesurée avec l'astrolabe à prisme ou un cadran solaire puis, après correction ("équation du temps" qui varie en fonction de la date), calculer la différence entre l'heure de Paris et l'heure mesurée. Cette différence permettait de calculer l'écart de longitude entre ces 2 villes.
L'heure légale du midi solaire à Paris - ou l'heure de référence de Greenwich - était la donnée indispensable que les marins et explorateurs du 18 ième siècle avaient extrêmement de mal à connaître de façon précise. Elle était conservée sur un chronomètre de bord mis à l'heure au départ des voyages, mais la précision des mécanismes de l'époque limitait la précision de la mesure du temps.
Dès les années 1910, la TSF, qui pouvait retransmettre au niveau planétaire l'heure de référence de l'observatoire de Paris, avait donné la possibilité de faire des mesures de longitude d'une précision jusqu'alors jamais obtenue.
Comme 360° de rotation de la terre correspondent à 24 heures (à quelques corrections près), l'écart de longitude entre 2 points de même latitude correspond à 4 minutes par degré.
Grossièrement on peut retenir que :
Les longitudes mesurées par la Mission Grossard étaient donc calculées en se calant sur l'heure de référence donnée par la Tour Eiffel.
L'information horaire était reçue par radio à l'aide d'un récepteur adapté par le général Ferrier pour les besoins de la Mission. Après avoir surmonté un certain nombre de difficultés, les sapeurs télégraphistes de la Mission étaient parvenus à recevoir depuis ces contrées lointaines du Centre Afrique les signaux de la station de Bordeaux-Lafayette mise en service quelques mois auparavant (Août 1920).
Un tel procédé, mis au point par le Service Géographique de l'Armée, permettait un positionnement au sol avec une précision de l'ordre de 50 m.
L'image ci-après montre le récepteur à lampe utilisé.
Le grand cadre-antenne hexagonal, dirigé en direction de la France est relié à un récepteur à lampes (triodes types TM) alimenté par des batteries de piles que l'on devine logées sous la table.
Le levé topographique de la Mission porte sur un tracé de plus de 2900 Km et a demandé un travail d'environ 15 mois.
Les informations recueillies ont permis d'établir dix cartes en couleur au 200.000e.
Les travaux donnent des informations sur les cours d'eau, la végétation et un exposé géologique (orographie).
Les nombreux échantillons de minéraux, soigneusement répertoriés, ont été remis au retour au Museum d'histoire naturelle de Paris.
La dernière partie du rapport de mission donne des informations précieuses sur la météorologie, le magnétisme terrestre, ainsi que sur la faune et la flore des zones traversées.
Il s'intéresse aussi, bien sur, aux ressources économiques (minerais, élevage, culture, exploitation du bois et de l'ivoire, etc ) et aux moyens de communication (fleuves, rivières, routes).
La comparaison des travaux des 2 Missions française et britannique qui ont travaillé de façon complètement indépendante montre une concordance des résultats tout à fait remarquable pour l'époque.
Sources :