Pourquoi venir parler ici de l'Exposition Universelle de Paris de 1900 ?
Sûrement pas par chauvinisme, mais parce que cette exposition se situe dans le temps au tournant de l'évolution industrielle et à l'aube de l'explosion de l'utilisation à l'échelle planétaire de l'Electricité.
Attardons nous un instant sur quelques chiffres qui auront dimensionné cette manifestation en évoquant au passage quelques comparaisons avec la précédente Exposition de 1889 qui avait eu lieu elle aussi à Paris.
L'Exposition Universelle de 1900 est placée, bien sûr, sous le signe du développement industriel et des technologies émergentes. Ce n'est un secret pour personne ! Dès 1895, les médias commencent à parler de cette manifestation future et les bureaux d'études ont sorti les crayons et les règles à calcul.
Les manager commencent dès cette époque à aligner les chiffres pour estimer les coûts et la note à payer.
Les décideurs rédigent les documents prescriptifs qui seront transmis aux exposants et les cahiers des charges à respecter pour la construction des bâtiments.
Ouverte au public entre le 15 avril et le 12 novembre 1900, l'Exposition attirera plus de 50 millions de visiteurs, ce qui en fera l'une des plus grandes manifestations internationales de l'époque (31 Millions pour l'Exposition de 89 avec la Tour Eiffel).
Imaginez l'impact d'une telle manifestation dans une France qui n'avait alors que 40 millions d'habitants.
Pour rappel, l'Exposition était centrée géographiquement sur le Champs de Mars, mais beaucoup de pavillons étaient implantés le long des berges de la Seine ainsi que sur l'esplanade des Invalides et les Champs Elysées.
Le Pont Alexandre III, le Grand Palais et le Petit Palais avaient été construits pour cette occasion.
L'exposition de 1889 avait fait découvrir au public les premières applications possibles de l'électricité, les dynamos, les moteurs et bien sûr la lampe d'éclairage à Incandescence de Monsieur Edison qui avait fascinée bon nombre de visiteurs.
Mais l'exposition était restée sur le plan technique beaucoup centrée sur la vapeur et ses applications au transport et à la force motrice. N'avait-t-elle pas été à la base de la construction de la Tour de Monsieur Eiffel !
En dehors de cette construction gigantesque, le chemin de fer Decauville qui promenait le public fut sans doute l’une des attractions préférées de l'Exposition. Ce petit train tiré par une locomotive à vapeur circulait entre le Champ de Mars et les Invalides sur une distance de 3 km.
A cette époque, les travaux sur le transport du courant électrique de Déprez et Berges, pour ne citer qu'eux, étaient encore au stade expérimental et le terme de Houille Blanche venait juste d'être inventé.
Mais la technique a évolué très vite en 10 ans. L'Exposition de 1900 se veut moderne donc "électrique".
Tous les Pavillons seront éclairés à l'Electricité, il y aura des jets d'eau, des fontaines, des cascades. Les Grandes salles d'exposition seront pourvues de ventilateurs pour assurer une température agréable pour les visiteurs. On fabriquera sur place si besoin de la glace et des boissons fraîches ! L'électricité fera fonctionner des milliers de pompes, de moteurs, et même des automates pour animer des jeux d'eau et de lumière la nuit tombée.
Mais cette électricité il faudra la fabriquer sur place ou la prendre sur le réseau parisien existant.
Examinons tout cela plus en détail
Quels sont les besoins estimés en Electricité pour cette Grande Exposition ?
Après calcul et vérifications, il est établi qu'une puissance d'environ 20.000 KW sera nécessaire pour la durée de l'Exposition qui sera de l'ordre de 200 jours.
Comme un certain nombre d'exposants disposeront de moteurs à gaz, il faudra aussi prévoir une alimentation en gaz de ville. La ville de Paris offrira gratieusement les 270.000 m3 de gaz nécessaires.
L'électricité sera fabriquée sur place pour la zone centrale du Champs de Mars. Les berges de Seine seront alimentées en courant alternatif pris sur le réseau et la zone de l'Esplanade des Invalides et des Champs Elysées seront alimentés en courant continu à partir de convertisseurs AC/CC branchés sur d'autres réseaux parisiens.
Sur les Champs Elysées on se raccordera sur 2 réseaux existants un en 5000 Volts triphasé 25 Hz et l'autre en 2200 Volts 42 Hz. Sur l'Esplanade des Invalides de l'autre côté de la Seine, il y a du 3000 Volts triphasé 50 Hz.
Les électriciens s'adapteront ! La Société Thomson-Houston fournira des convertisseurs de puissance unitaire 200 et 300 KW qui fourniront le 250 V continu.
Bon alors si j'ai bien tout noté il faudra prévoir en puissance à installer :
- 2500 KW en CC 250 Volts
- 5500 KW en CC 500 Volts
- 500 KW en AC 2200 V 42 Hz diphasé
- 1300 KW en AC 2200 V 50 Hz monophasé
- 8500 KW en AC 3000 V 50 Hz triphasé
- 1250 KW en AC 2200 V 42 Hz Triphasé
- 700 KW en AC 5000 V 25 Hz Triphasé.
Un peu complexe tout ça ! Mais on va y arriver ! Le réseau interconnecté c'est encore pour demain !
Chaque société a son standard !
En plus, compte tenu de l'étendue de la zone en Courant Continu, un réseau à 3 fils s'avèrera plus économique qu'un réseau à 5 fils mis en oeuvre sur des lignes longues. On aura donc la possibilité de disposer de 500 Volts ou de 250 Volts, mais pas de 125 V. Les lampes à incandescence seront donc montées en séries par paires.
Pour les réseaux en Courant Alternatif, pas de problème, des transformateurs viendront ajuster la tension en tant que de besoin. Que la Haute Tension soit en 5000 V , 2200 V ou 3000 V , peu importe, on s'adaptera sans peine pour avoir du 110 ou 220 V !
A titre de comparaison, l'Exposition de 1889 disposait d'une puissance électrique presque 10 fois plus faible.
La vapeur vive nécessaire pour fabriquer le courant dans la zone du Champs de Mars sera produite juste à côté du Palais de l'Electricité. Le courant proviendra des groupes électrogènes à vapeur installés dans le hall du Palais.
Sur la base d'une puissance moyenne de 20 000 CV (équivalent à 15.000 KW car tous les consomateurs ne seront pas branchés en même temps) et si l'on compte 10 Kg de vapeur par Cheval Vapeur et par heure, il faudra installer une centrale à vapeur capable de fournir environ 200 T/h de vapeur à 11 bars de pression (valeur exigée par les arrêtés ministériels).
Il est décidé de construire 2 usines. La première équipée de chaudières françaises sera appelée La Bourbonnais. La deuxième recevra des chaudières étrangères et sera baptisée usine Suffren.
L'ensemble des deux unités comportera 95 chaudières réparties en 15 groupes.
Mises en service dès le mois de mars 1900, pour test et essais, elles brûleront 160 tonnes de charbon par jour en moyenne et 200 tonnes au maximum, ce qui représentera une masse totale de charbon consommée de 33.500 T pour la durée de l'Exposition.
96 personnes, hors cadres et Ingénieurs, assureront l'exploitation de ces deux usines.
Chaque jour un train entier de charbon livrera son chargement aux pieds des usines via une voie de chemin de fer aménagée pour la circonstance.
La nuit, les ouvriers chargeront des tonnes de cendres chaudes pour les emmener hors de Paris.
Une station de relevage de l'eau de la Seine sera construite en bord de Seine avec, bien sûr, tous les systèmes de filtration et traitement des eaux indispensables ! Les chaudières détestent l'eau calcaire !
Jules Vernes, Zola, vous étiez là je crois pour voir cet enfer technologique !
A titre de comparaison, l'Exposition de 1889 avait produit 4 fois moins de vapeur que celle de 1900 avec seulement 30 chaudières installées.
Bonne question ! Mais les ingénieurs de l'époque avaient pensé à tout !
Pour éviter les retombées des fumées sur les visiteurs, il était hors de question d'évacuer les fumées des chaudières par des cheminées multiples traditionnelles.
Ils imaginèrent, puis après calculs et dessins construisirent, 2 cheminés monumentales de 80 m de hauteur.
Prouesse technique peu connue du public pour arriver à faire tenir une construction de 350.000 briques de faible section au sol sur une assise argileuse ! Bah ! La Tour de Monsieur Eiffel était bien toujours debout ! Une question de "pression spécifique" avait dit le grand Ingénieur.
Par contre, je ne vous parlerai pas des carneaux et conduits de fumées qui reliaient la cheminée aux chaudières. Une vraie ville souterraine. En plus il fallait passer entre les fondations du palais de l'Electricité qui s'ancrait profondément dans le sol.
37 groupes électrogènes à vapeur, de différentes conceptions, étaient rassemblés dans le grand hall du palais de l'Electricité.
La puissance installée était de 36.000 CV (dont 14.000 CV pour les machines françaises).
Le public pouvait juger des progrès techniques accomplis depuis l'Exposition Internationale d'Electricité de 1881. La taille et la diversité des machines avaient considérablement augmenté !
Les machines à vapeur étaient couplées à des dynamos produisant du courant continu. La pression de vapeur à l'admission des machines était en général la pression maximale de 11 bars, mais certains fabricants limitaient la pression à 7 bars avec des détendeurs locaux.
La maintenance de ces matériels complexes était assurée par 20 ingénieurs, 58 mécaniciens et contremaitres, 66 aides et 4 gardes de nuit.
Le fonctionnement de ces machines, qui étaient présentées pour montrer à un large un public le savoir faire des Exposants, devait être parfait et sans défaillance.
Le Palais de l'Electricité est sans doute le bâtiment qui a marqué le plus l'esprit des contemporains.
Son entrée majestueuse était composée d'un ensemble de cascades qui venaient se déverser dans un immense bassin.
En nocturne, l'éclairage électrique transformait le bassin en une gigantesque fontaine lumineuse qui restera un exemple spectaculaire d'une des utilisations possibles de l'électricité.
Cet ensemble regroupait un certain nombre de prouesses techniques ignorées du public.
A cette époque, par exemple, le seul moyen d'assurer un éclairage puissant était l'usage de lampes à arc.
Chaque jet d'eau était éclairé par une lampe à arc de 15, 25 ou 75 ampères suivant le besoin. Chaque lampe placée sous le bassin, au foyer d'une parabole réfléchissante, envoyait un faisceau lumineux puissant et horizontal qui était dévié à la verticale sous le jet d'eau par un miroir en zinc argenté - le verre s'étant avéré, lors des essais, incapable de résister à la température des lampes. Le faisceau vertical traversait un verre coloré qui éclairait l'eau et la rendait lumineuse.
Un astucieux dispositif à électroaimants permettait de déplacer le verre et de mettre en place des zones de différentes couleurs.
Le système, mis au point par les ATELIERS DE CONSTRUCTIONS ELECTRIQUES VEDOVELLI, PRIESTLEY ET Cie, était commandé depuis un jeu de manettes placées derrière le château d'eau (se reporter à la page biographie - Vedovelli).
Deux hommes assuraient le fonctionnement du système lors des 3 scéances de 20 minutes qui avaient lieu chaque soir devant une foule immense.
Les cascades étaient illuminées par plus de 8.000 lampes à incandescence équipées elles aussi de variateurs de puissance et de verres colorés.
La machinerie électrique permettait de changer en même temps 74 verres colorés et la puissance électrique consommée par les électroaimants était de 12 KW !
L'installation électrique avait nécessité plus de 250 Km de fils isolés et 20 Km de fils nus.
L'intensité du courant débité par les dynamos variait de 800 à 1300 ampères pendant le spectacle lumineux.
Le Pavillon fera de l'Exposition de 1900, le symbole du Progrès et de la Modernité.
Quand la nuit tombait, les lampes électriques éclairaient les différents pavillons et les allées pour le plus grand plaisir des visiteurs.
Une des grandes attractions de cette Exposition aura sans doute été aussi le trottoir roulant électrique qui permettait aux visiteurs de se promener d'un pavillon à un autre sans se fatiguer.
Ces trottoirs mobiles avaient été installés sur un viaduc en bois de 7 mètres de hauteur.
Le parcours total était de 3 500 mètres et comportait neuf stations réparties dans l’enceinte de l’Exposition.
Le viaduc supportait trois trottoirs continus, comme on peut le voir sur l'image ci-dessus : un fixe et deux mobiles ; le premier se déplaçait à une vitesse de 4 kilomètres à l’heure, le second à une vitesse de 8 kilomètres.
Le premier trottoir était de largeur réduite et était surtout destiné à servir de marche-pied intermédiaire pour passer du trottoir fixe au second trottoir mobile à grande vitesse. Celui-ci avait 2 mètres de large et les visiteurs restaient dessus le temps du trajet.
Parmi les personnalités réconmpensées lors de l'exposition pour l'intérêt de leurs travaux , inventions ou découvertes, on peut citer le Russe Alexander Popov qui remporta la grande médaille d'or pour sa contribution au développement de la Radio.
* Le développement de nouveaux modes de transports :
- la construction du Métropolitain : la première ligne de métro de Paris (Ligne N° 1 de Porte de Vincennes à Porte Maillot) sera ouverte à l'occasion de l'exposition.
- La réalisation de nouvelles gares (Gare d'Orsay, Invalides, Gare de Lyon)
* La découverte du cinéma avec la projection de films des frères Lumière sur écran géant et la présentation du Cinéorama - procédé de projection cinématographique sur un écran circulaire balayé par dix projecteurs synchronisés.
Le Petit Palais et Le Grand Palais seront eux aussi construits à l'occasion de cette exposition. Ils seront situés sur l'emplacement du Palais de l'Industrie,construit pour la première exposition universelle de 1855 consacrée aux développements industriels.
Le Pont Alexandre III sera aussi construit et réservé à l'exposition.
Une grande roue sera aussi érigée avenue de Suffren près du Champs de Mars. Cette immense roue qui avait un diamètre de 100 mètres sera démontée en 1937.
On peut citer aussi le Village Suisse qui se trouve encore aujourd'hui près de son emplacement.
La photo ci-dessus, datée des années 1910, permet de situer de façon assez précise l'endroit où l'attraction avait été construite. Elle donne aussi une idée de la taille de la roue dont le diamètre était de l'ordre de 100 m.
On voit très bien sur la photo ci-dessus, les deux cheminées des centrales thermiques (La Bourbonnais à gauche et Suffren à droite), juste sous la Tour Eiffel l'entrée monumentale du palais de l'Electricité et sur la droite la Grande Roue.
Notez que les fumées sont poussées vers l'Est par les vents dominants. Détail pour rappeler que les quartiers bourgeois de Paris sont à L'Ouest et les quartiers populaires à L'Est.
Sources :