Ca y est, c'est décidé ! Un démarcheur local est venu me voir et m'a convaincu de l'intérêt de faire rentrer cette nouvelle source d'énergie chez moi.
Vous savez , c'est le vendeur d'EDF , l'ELECTRICITE Du FOREZ
Il était fort le gars .... et même si j'ai pas tout compris sur ses barrages hydro-électriques qu'y m'a dit, j'ai bien vu qu'il connaissait bien son métier !
Pour l'repassage, la cuisine, la vaisselle, la lessive, j'veux point mettre ma brave Marie de femme au chomage ! et puis l'électricité c'est trop compliqué pour les femmes !
Je veux juste supprimer ces bondieu d'lampes à pétrole qui éclairent mal, fument à n'en plus finir et remplissent la maison d'une odeur épouvantable. Sans parler en plus des risques d'incendie !
Mes voisins ont mis le feu à leur maison et ont tout perdu l'an dernier à cause d'une lampe à huile qui s'est renversée !!
Moi j'veux plus d'ça !
Le Monsieur des FORCES HYDRAULIQUES du FOREZ, y m'a dit de mett' l'électricité pour éclairer la maison ... et l'étable ... et même plus tard la cave avec des fils spéciaux !
Il m'a même expliqué que j'pourrais avoir la Force pour faire tourner des moteurs électriques. C'est vrai que ce serait pratique pour faire tourner une scie à bois ! A mon âge, scier à la main ça commence à être dur !
Mais qui m'a dit, faut trois fils pour la force ??
En plus il y a des montages "étoile" et "triangle"... C'est ben joli tout ça, mais moi j'ai pas la tête dans les étoiles, j'reste les pieds sur terre !!
... et pour finir si les fils sont pas branchés dans l'bon ordre, le moteur va tourner à l'envers à ce qui m'a dit le vendeur d'électricité ! Pour la scie à bûches c'est la catastrophe !!
J'sais mêm' pas comment le courant y fait pour entrer et sortir dans ces trois fils ! Bon sang, c'est ben compliqué toutes ces techniques nouvelles. J'demanderai à l'instit' de m'expliquer tout ça !
Bon enfin y a une ligne électrique qui vient juste d'être installée et qui passe au fond du champ !
Bah ! c'est ben un peu cher, mais au moins j'aurai plus à pédaler dans la côte pour ramener le bidon de pétrole !
J'suis de la campagne, mais j'suis pas un idiot pour autant !
J'ai vu l'électricité en ville. Ils l'ont mis au bistrot du village, l'an dernier .... et puis y a une T.S.F aussi !
L'Instit aussi, vous savez celui qui parle l'Esperanto et d'aut' langues z'étrangères, il aime bien la radio à c'qu'on dit ! Il est Radioz'amateur ! Y bricole tout l'temps la T.S.F. qu'elle dit sa bourgeoise ! et la nuit y cause, en Morse, avec des z'étrangers !
Si la Marie est d'accord, on pourra piocher dans la réserve et s'payer un poste pour la Noël, nous aussi. Elle aime bien les pièces de théâtre, la Marie et moi j'pourrai avoir des nouvelles du temps pour les plantations ! ... et puis on pourra mett' l'horloge à l'heure car le curée et le maire y sont jamais d'accord !
J'connais un beau magasin à Clermont qui vend des T.S.F ; des DUCRETET, des LEMOUZY, des MANUFRANCE et même des RADIO VAINQUEUR qui sont fabriqués à Aurillac !
Ah, vous voyez ! On fabrique pas que du fromage et des parapluies en Auvergne. On fait aussi des T.S.F. !
Paraît même qu'ils vont construire un émetteur au sommet du Puy-de-Dôme ! Pour la météo qu'y disait dans un article que j'ai lu dans LA MONTAGNE !
Vont' ben réveiller l'volcan en creusant les fondations !
Ah ! y sont beaux ces postes de T.S.F., mais c'est pas donné. En plus, je m'suis déjà renseigné - au cas où ! Il faudra que j'mett une grande antenne entre les pommiers dans l'champ qu'y m'a dit l'gars du bistrot, sinon j'pourrai pas entendre LYON-la-DOUA.
Bon, .... j'bavarde, .... mais revenons à mon électricité !
J'ai fait venir le catalogue de MANUFRANCE, celui du GRAND BAZAR MONCEAU et aussi celui du magasin AU PIGEON VOYAGEUR, deux fournisseurs parisiens.
C'est l'Instituteur qui m'a donné les adresses ! Y connait tout c'gars là !. Y a tout pour faire l'éclairage électrique ! ...
... et puis j'ai acheté un liv' sur le bricolage "électrique" quand j'suis allé aux Galeries de Jaude , vous connaissez à Clermont-Ferrand ! L'magasin qu'est gardé par VERCINGETORIX !
Je suis en train de finir ma commande du matériel par correspondance ! Du fil, des interrupteurs, des douilles pour les ampoules. J'ai pris des 10 bougies comme ça, ça va pas aveugler mes vaches ! J'ai pris des filaments au charbon, au carbone y m'a dit le gars de l'électricité, car les filaments au Wolfram (Tungstene) c'est ben trop cher. C'est bon, pour les riches !
L'temps que j'y suis, j'vous mets le plan de mon installation ! Ca peut des fois vous servir !!
Ben, c'est qu'c'est un peu compliqué leur électricité !
Y z'auraient pu inventer l'électricité sans fil ! .... Y z'ont ben inventé la Télégraphie-Sans-Fil. !!
Allez j'vous mets des images de mon matériel et j'vous invite un soir à la maison pour faire la belotte !
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Voilà une prise de courant avec interrupteur intégré. Bien pratique pour la lampe de chevet !
Cet accessoire coûtait quand même assez cher. Le coût de l'ensemble, ramené au cours actuel le porterait aux environs de 14,40 Euros - source INSEE. Oui mais c'était une innovation technique à l'époque (tarif catalogue 1913) !
Ce sont de beaux objets tournés dans des bois de qualité (merisier, poirier, racines de bruyère, ...) avec un bouton poussoir en corne ou en os.
Le fil est constitué de deux conducteurs torsadés. Chaque brin est composé d'une âme en cuivre (multibrins) entourée d'un isolant (en général caoutchouc ou gutta-perca). Le tout est enfermé dans une gaine en coton ou en soie. Il n'y a pas encore de produits plastiques artificiels à cette époque (vers 1925).
Le circuit électrique court le long des murs, en apparent. Le fil double est tenu par des taquets en porcelaine ou en os cloués ou vissés sur le mur.
Dans les lieux humides, comme mon étable, il est plus prudent de prévoir des fils individuels isolés et de les monter sur des isolateurs spéciaux qui les éloignent des murs.
Voici le type de matériel préconisé.
Ici se sont des supports pour 2 fils. .
et voilà la façon d'installer le circuit sur un mur ou le long de poutres en bois de charpente.
Si vous installez la "Force" ("triphasé" dirait-on de nos jours), il existe des supports pour 3 fils parallèles.
On peut aussi mettre le fil dans un tube protecteur tel du tube Bergman composé d'une âme en carton goudronné (brai de goudron - Coal Tar) entourée par une mince feuille de tôle roulée agrafée (connu aussi sous le nom Tube FRO).
Bergman (ou Bergmann) provient du nom d'une entreprise de Berlin qui produisait ce tube. Peut-être était-ce aussi le nom de l'ingénieur qui avait mis au point ce type de matériel. A noter que les premiers tubes Bergman ne comportaient pas d'enveloppe métallique et se limitaient à un simple tube en carton enduit de goudron.
Les tubes étaient cloués au mur à l'aide de cavaliers en acier dont on voit quelques modèles de différentes dimensions sur l'image de droite.
L'ensemble était en général peint pour s'intégrer à la décoration de la pièce.
A l'époque, il était possible aussi (et autorisé) de cacher le tube dans l'épaisseur d'une cloison en brique pour faire disparaître les fils électriques (installation dite "noyée").
Il fallait alors faire une saignée dans le mur, en prenant soin de ne pas casser le dernier voile de brique, introduire le tube équipé des fils dans la saignée et reboucher avec du platre. Il était prudent de faire un relevé du trajet des tubes pour se souvenir de leur position et éviter de planter un clou plus tard au mauvais endroit !
Ce travail d'installation était long et demandait pas mal de savoir faire. Il est certain que la mise en place de circuits électriques dans les cloisons modernes en placo-platre (BA 13) est bien plus facile et rapide.
Les raccords entre éléments de tube étaient réalisés à l'aide d'éléments en tôle (demi coquilles) réunis par des anneaux en acier (voire Photo ci-dessus).
Ce type d'installation a été très employé en France jusque dans les années 1960/70 date à laquelle la règlementation a interdit l'utilisation de ce type de matériel au profit des gaines en plastique (montage externe) ou des tubes en acier(tube type MRB).
Un autre type d'installation était aussi très apprécié jadis, surtout dans les riches demeures bourgeoises où le tube Bergman et les fils sur taquets s'intégraient plutôt mal entre les boiseries, les plafonds stuckés, les tapisseries fleuries et les meubles de style des années folles.
Les électriciens cherchèrent donc à dissimuer au maximum les fils électriques et proposèrent à leurs clients de les cacher sous des moulures en bois peintes ou vernies, beaucoup plus discrètes que le tube en tôle.
Comme on peut le voir sur la photo ci-dessus, le système se composait d'un socle rainuré (bois de pin) cloué au mur et d'un couvercle mince plus ou moins sculpté suivant le style recherché. Après introduction des conducteurs électriques dans les cannelures, le couvercle était cloué sur le socle puis peint ou verni en harmonie avec le décor de la pièce.
Noter sur l'image la constitution des fils électriques de l'époque : une âme en cuivre d'assez faible diamètre, une couche de caoutchouc et un revêtement externe en coton tissé de couleur.
Noter que l'emploi des baguettes bois est aujourd'hui formellement prohibé, mais que le système de moulure est encore très employé dans l'habitat et dans l'industrie, la baguette bois étant remplacée par la baguette en PVC plus sécurisante (risque d'incendie) et sans doute aussi plus économique.
Ces baguettes en PVC offrent en plus la possibilité de pouvoir déclipser facilement le couvercle pour une intervention ou une modification du cablage électrique.
Les 2 premières en partant de la gauche permettent le montage de lampes à culot baïonnette. Celle de droite est destinée à des lampes à culot à vis type Edison.
Il faut bien prévoir aussi quelques prises de courant. Celle de gauche est un modèle normal en bois. Celle de droite est un type spécial connu sous le nom de "douille voleuse".
La "douille voleuse" est un adaptateur qui permettait de transformer une douille de lampe en prise de courant, en particulier à une époque où les contrats avec le fournisseur d'électricité et la tarification étaient basés sur le nombre d'ampoules mises en place chez l'usagé. Le dispositif permettait de venir voler du courant au niveau d'une lampe pour alimenter un appareil externe supplémentaire (lampes, réchaud électrique, appareil électro-ménager, ....).
Compte tenu du danger que présentait ce type d'accessoire (risques de surcharge électrique des lignes - incendie - électrocution), leur commercialisation est de nos jours interdite.... ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en a plus en service .... dans nos caves par exemple !
Il faut aussi installer des interrupteurs pour allumer et éteindre les ampoules électriques. Voici quelques modèles du catalogue de la MANU de 1925. Les corps sont en porcelaine et le modèle de gauche a un superbe couvercle en laiton. Entretien difficile, mais esthétique assurée.
Ces accessoires permettaient des liaisons entre fils de l'installation et des dérivations pour alimenter différents points dans les pièces. Ces modèles d'époque sont en porcelaine bien sûr, dans l'attente de l'invention des matières plastiques.
Cet accessoire est lui aussi en porcelaine. Il assurait la même fonction que la douille précédente en bois. Après fixation sur une douille de lampe, il était possible de remettre l'ampoule en place. L'utilisateur disposait alors de 2 prises de courant supplémentaires.
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Un sectionneur (souvent appelé "interrupteur général") permettra d'isoler l'ensemble de l'installation pour des besoins d'entretien ou de mise en sécurité. Il s'agit ici d'un appareil de coupure mono-phase (un seul fil) équipé d'un dispositif à "coupure brusque" pour éviter la formation d'un arc électrique destructeur au moment de l'ouverture. Il était nécessaire d'en installer 2 pour avoir une isolation complète de l'installation électrique. Attention un des 2 côtés de l'appareil restait sous tension ! Il était donc interdit de toucher ces appareils non protégés . Ils étaient en général installés hors de portée des gens (Placards "électriques" fermés à clé) ou enfermés dans des boitiers munis d'une vitre comme on le voit sur la photo ci-dessous.
Il s'agit d'un sectionneur unipolaire datant des années 1930 approximativement. Il existait aussi des appareils bipolaires et tripolaire pour le courant triphasé. Les tensions étaient respectivement de 110 V et 220 V. Elles sont de nos jours passées en France à 220 V pour le monophasé et 380 V pour le triphasé.
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Le fusible est un appareil de protection indispensable sur une installation électrique. Il est constitué par un fil de plomb calibré qui fond lorque la puissance appelée (l'intensité du courant) dépasse une valeur maximale admissible. Il évite un échauffement des fils et protège contre un possible incendie. Attention mettre un fil plus gros (ou une barre métallique voire du papier d'aluminuim) est strictement INTERDIT et présente un réel DANGER !
Le modèle ci-dessus date des années 1925. C'est une rallonge extensible comme on en trouve aujourd'hui sur nos souris .... mais celle ci est un peu plus grosse. La bobine centrale fait environ 6 cm de diamètre.
Ah ben ! J'allais oublier d'en parler ! Y m'faut ben aussi que'ques outils pour monter l'installation.
Le marteau spécial électricien (1), le couteau pour dénuder et couper les fils à longueur (2), les pointes et vis pour fixer aux murs canalisations supports de fils et accessoires (3), le tournevis indispensable pour faire les connections électriques (4), quelques mètres de Chatterton ou de ruban adhésif de couleur pour le repérage des fils (5) ... et la pince spéciale pour couder les tubes Bergman .
La pince, j'en avais pas ! C'est mon cousin l'Jojo qui m'a prêté la sienne. Elle est toute neuve ! J'crois ben qui s'en est jamais servi. J'l'ai pas encore essayée ; j'vous dirai plus tard le résultat de mes essais ! J'aurai ben différents diamètres de tubes à couder et il faudra que je m'entraîne avec les différentes machoires (6) !
Le principe du coudage du tube Bergman est simple qui m'a dit l'Jojo. Il suffit à l'aide de la pince de faire des plis sur le tube pour le diriger dans la direction souhaitée.
Facile à dire, mais moins facile à réaliser !
La qualité du travail dépend de la régularité de ces plis donc de la pression donnée sur la pince et de l'espacement entre chaque pli. Pas si facile que cela de faire un beau cintre à angle droit bien régulier. N'oublions pas que ces tubes restaient en général apparents et ne devaient pas nuire à l'esthétiques des pièces d'habitation où ils étaient posés.
La photo ci-dessus détaille la constitution du tube Bergman. On voit très bien l'enveloppe interne en carton goudronné et la mince protection externe en tôle agrafée.
Mon copain l'maçon du coin y m'prêtera son fil à plomb et son niveau comme ça j'mettrai pas les fils de travers. Elle à l'oeil la Marie et j'ai intérêt à faire du bon boulot !
Pour l'mètre à ruban et l'crayon, j'ai s'qui faut. Y a pu qu'à attaquer l'chantier !!
Allez ! A Bientôt. J'vous mettrai d'aut' photos quand j'aurai tout le matériel !!
C'est qu' ça vient de Paris tout ça ... alors il faut un certain temps !!!
Mais c'est vrai qu'y z'ont d'beaux magasins d'électricité à Paris .... on n'a pas encore ça chez nous en Auvergne ! Mais ça va ben venir d'ici que'que temps !
Allez ! Bonsoir ... et ménagez-vous !!!
Cette page est un petit clin d'oeil au Père Jouanet (ou Johannet) alias René Paput, célèbre commentateur de la radio Clermont Auvergne (aujourd'hui France Bleue Pays d'Auvergne), qui anima dans les années 1960, une chronique relative à la vie rurale de l'époque. Ce personnage imaginaire, au fort accent de terroire, "reporter-paysan" comme on aurait pu dire à l'époque, évoquait au quotidien, les préoccupations de ses auditeurs .... il parlait du temps, des semailles et moissons, ... annonçait et commentait les évènements locaux (foires, expositions, etc) et de bien d'autres sujets avec beaucoup de finesse, de sensibilité et d'humour !!
Ah !! un Brave Homme ce Père Jouanet !
Ben tiens ! une p'tite dernière avant de se quitter !
Moi j'suis pas allé à l'école ben longtemps comme vous, mais j'vais vous donner une p'tite information qu'on n'vous a sans doute pas apprise dans vot' école.
Chez nous en Auvergne, quand on quitte des amis on dit toujours : Ménagez-vous !!
Ca veut dire quelqu'chose comme "restez en bonne santé et économisez vos forces"
Cet' notion d'économie nous a été volée par nos amis d'outre atlantique et ils en ont fait .... devinez .... le mot "management" qui s'emploie dans le domaine de la gestion des affaires !
Ben oui, nous en Auvergne on a le coeur ... et eux, aux pays de l'Oncle Sam, y ont les Dollars à maintenir en bonne santé !!
Allez ! Bonsoir ... et ménagez-vous !!!