Raconte-moi la radio

L'électricité dans la Drôme

Dieulefit est une petite ville de la Drôme provençale située près de Montélimar à deux pas de Grignan où vécut Mme de Sévigné.

Elle se situe au milieu de montagnes verdoyantes, au sud du plateau du Vercors.

La tradition de la poterie dans le pays de Dieulefit remonte à l'époque gallo-romaine.

Valréas, 15 kilomètres plus au sud - capitale du cartonnage - est une cité vauclusienne enclavée en terre drômoise au milieu des vignobles, des chênes truffiers et des champs de lavande.

Vers 1888, ces deux localités ne possédaient pas l'électricité. Leur implantation et leur dimension ne permettaient pas la construction d'une usine à gaz ou d'une usine électrique.

En s'associant et en utilisant l'énergie hydraulique du Lez qui coulait à 5 km de Dieulefit, un projet d'implantation de petite centrale hydroélectrique (on dirait de nos jours micro-centrale) avait été jugé techniquement possible et rentable.

En Avril 1888, la société lyonnaise Lombard-Gerin et Cie signe un contrat pour l'éclairage des villes de Valréas et Dieulefit. Elle achète des terres et un ancien moulin à farine sur la commune de Béconne. L'usine hydro-électrique qui sera implantée à cet endroit, se trouvera située à 17km de Valréas et à 5km de Dieulefit.

Notons qu'à cette époque, cette société avait une grande expérience des matériels électriques et mettait au point, à Paris, pour l'Exposition Universelle de 1900, les premières lignes d'"Electrobus" que nous appelons aujourd'hui les Troleybus.

L'étude Dieulefit/Valréas, prendra en compte les différences de longueur des deux lignes électriques et les besoins en puissance (115 lampes d'éclairage à Dieulefit et 230 à Valréas).

Le 25 décembre 1888, les premiers tours de roue des 2 turbines permirent d'activer l'éclairage public de ces deux bourgades, à la grande satisfaction des habitants et des autorités locales.

L'usine génératrice qui avait été construite à Béconne avait profité des aménagements du moulin préexistant. Le canal de dérivation creusé en amont sur le Lez avait été réutilisé. Il amenait l'eau dans un bassin réservoir de 13 000 m3, créant ainsi une réserve de sécurité et une chute d'une hauteur d'environ 25 m, suffisante pour actionner les deux turbines à axe horizontal d'une puissance de 50 CV (45 KW) chacune et qui tournaient à 180 t/min.


Usine hydroélectrique de Béconne (Drôme)- vers 1888

Chaque turbine est couplée à une machine "dynamo-électrique" qui n'est autre qu'un alternateur. La Société Lombard-Gerin choisira des machines de conception hongroises (Sté Ganz à Budapest). Ces machines connues sous le nom d'alternateur Zipernowsky (modèle 2000 V, 12 A) étaient fabriquées sous licence chez Schneider au Creusot.


Usine hydroélectrique de Béconne (Drôme)- vers 1888
Alternateur type Zipernowsky - Schneider Le Creusot constructeur

L'installation prévoyait la mise en place d'une troisième machine de secours.

Chaque machine était reliée à une ligne électrique , l'une partant vers Dieulefit et l'autre vers Valréas.

Chaque ensemble disposait de sa propre excitatrice (dynamo 80 V, 30 A à pleine charge) et d'un système de régulation de puissance "électromécanique" associée à une régulation de vitesse (servomoteur centrifuge) couplée aux vannes d'admission d'eau.

Les lignes aériennes, côté Dieulefit, à fil nu (bronze siliceux de 3,2 mm de diamètre - fil de téléphone) sont montées sur isolateurs porcelaines posés sur poteaux. Côté Valréas, le fil est un peu plus gros pour égaliser les résistances compte tenu de la différence de longueur des lignes.

La maintenance des deux installation est commune pour limiter les coûts et un réseau téléphonique porté par les poteaux électriques permet une liaison entre les deux cités.

Le courant sert à l'alimentation de l'éclairage public après abaissement de la tension par des transformateurs et à la fournitures d'abonnés dans la mesure de la puissance disponible.

Le réseau de distribution dit "en bouquet" comporte 12 transformateurs installés en hauteur (dans des cages en zinc fixés aux murs des maisons par des consoles) dans chaque ville, d'une puissance unitaire de 1500 W.

Ce sont des appareils de type Zipernowski, Déri, Blathy à circuit magnétique fermé, 1750 V au primaire, 95 V au secondaire (Rapport de transformation=18). Le modèle de Ganz (maison mère à Budapest en Hongrie), construit sous licence par Schneider au Creusot, comporte un circuit magnétique en tôles en forme de E en acier extra-doux, isolées entre elles et comprimées entre deux plateaux en fonte formant le bâti.



Transformateur de Zipernowski
Modèle installé à Dieulefit et Valréas - 1888

Les configurations géographiques des deux cités ont conduit à organiser de façon différente les deux réseaux de distribution : le réseau de Valréas par exemple forme un cercle presque parfait alors que celui de Dieulefit est "en antenne" et a demandé des aménagements particuliers pour éviter des sauts de tension chez les usagés en fonction des variations de charge.

Les matériels "basse tension " chez les usagés (interrupteurs, douilles, coupe-circuits, commutateurs) sont tous en porcelaine.

Cette installation, de petite taille certes, comporte cependant tous les éléments d'un réseau moderne.

Si les technologies ont évoluées, il est étonnant de remarquer que près de 120 ans après, les problèmes techniques évoqués restent d'actualité et de (re)découvrir la pertinence des solutions techniques mises en oeuvre à l'époque pour les résoudre.

Le texte de H. Hospitalier, paru dans la revue La Nature de 1889, surprend aussi par sa fraîcheur et ne dépareillerait pas d'un article de même qualité écrit en 2005 .

On peut constater que dès la fin du 19 ième siècle, les techniques de l'électricité étaient déjà quasi achevées.

Il ne faut pas oublier , bien sûr, de replacer ce projet dans le contexte de l'époque, où une bataille farouche, à la hauteur des enjeux économiques, se livrait entre partisants et détracteurs du courant alternatif.

Chapeau bas, en tout cas, aux promoteurs du projet de Dieulefit/Valréas !



Usine hydroélectrique de La Roche St Secret Béconne (Drôme Provençale)
Vue actuelle des anciens bâtiments d'exploitation
au milieu des champs de lavande


Usine hydroélectrique de Béconne
Le départ du courant triphasé en haute tension fourni par des machines datant des années 1955.
Usine désaffectée - Propriété privée

Sources :

  1. Revue La Nature - N° 821 du 23 février 1889. CNUM 4KY28.32
  2. Manuel Pratique du Monteur Electricien - J. LAFFARGUE - Bertrand Tignol Editeur - Paris - 1902
  3. Le site des Lou Piage

© 2000-2007 Pierre Dessapt